Noli me Tangere (ne me touche pas) fait partie d‘une série de fresques réalisées par Fra Angelico vers 1440 au couvent Saint-Marc dans les espaces communs et les 44 cellules. Cette illustration de l’Evangile de St Jean se trouve dans la cellule 1. Le peintre, -frère dominicain-, né Guido di Pietro, prit le nom de Fra Giovanni de Fiesole en religion, et reçut de la postérité le surnom de « Fra Angelico » tant pour sa bonté de cœur que la délicatesse de sa peinture. Il utilisa la technique « affresco » qui demande à poser les pigments sur l’enduit frais dans un temps record avant séchage. Un choix qui permet encore, 600 ans après, d’apprécier in situ le génie du peintre, artiste majeur du Quattrocento italien, entre art gothique et Renaissance, et l’inspiration profonde du frère prêcheur aux sources de la foi. Jean-Paul II a béatifié Fra Angelico (1982), déclarant au sujet du patron des artistes : “en lui la foi est devenue culture, et la culture est devenue foi vécue . . . En lui l’art devient prière“.
Fra Angelico évoque dans une scène intime et simple la première apparition de Jésus à Marie-Madeleine le matin de la Résurrection. Celle-ci, bouleversée de trouver le tombeau vide, s’élance en pleurs à l’extérieur où elle croise celui qu’elle prend pour le jardinier. La rencontre a lieu près d’un rocher aride symbolisant le tombeau et la mort, dans un jardin fertile comme l’Eden, où poussent cyprès, palmiers et pins. Les couleurs s’expriment en masses expressives reliées par le vert/bleu dominant. Clôturé par une palissade qui laisse voir une végétation abondante, le jardin est un espace de vie, clos et protégé où la révélation se fait. L’herbe y est parsemée de fleurs à la manière des tapisseries mille fleurs médiévales. Jésus et Marie-Madeleine sont nimbés d’or mais l’auréole de Jésus porte la croix. Conforme à la tradition picturale, Marie-Madeleine -la pécheresse repentie-, déploie sa longue chevelure. Genou à terre, vêtue d’une lourde robe et d’une cape rouge -couleur du sang, de la chair, et de la vie terrestre-, elle tend la main vers Jésus pour s’assurer de sa présence physique. Son émotion est palpable: « Rabbouni » dit-elle, le reconnaissant enfin. Le Christ -de face- est lumineux : sa tunique aux plis souples est blanche, symbole de vie spirituelle et de foi. Il se détache sur le fond vert/bleu, une bêche de jardinier sur l’épaule; sur l’herbe, des fleurs rouges font écho aux stigmates de sa crucifixion sur ses pieds ; son visage infiniment bon est tourné vers Marie-Madeleine dont il retient l’élan d’un geste doux ; il opère un léger croisement de jambes. Proche de la lévitation, il foule les fleurs comme il marchait sur l’eau, sans peser. Il s’éloigne.
Marie-Madeleine ne doit pas chercher à le retenir pour le retrouver comme avant : «ne me touche pas car je ne suis pas encore monté vers le Père. Mais va trouver mes frères et dis-leur : je monte vers mon Père et votre Père, vers mon Dieu et votre Dieu» (Jn 20, 11-18). Ainsi est confiée à Marie-Madeleine la mission de relayer le message de la Résurrection : Jésus n’appartient plus au monde tangible et c’est autrement qu’il sera présent. Une mise à distance et un appel aux disciples à témoigner de la Résurrection. Un appel qui se renouvellera jusqu’à l’Ascension : « Pendant 40 jours il leur était apparu et les avait entretenus du Royaume de Dieu » (Ac 1,3). Pour le moine occupant la cellule 1, contempler cette fresque, c’était s’imprégner de la bonne nouvelle et se placer dans son rôle de témoin annonciateur de l’Evangile. Laurence